La revue Der Schwarz Brief ( n° 4598 du 4 novembre 1998 – Editions Claus Peter Clausen-D Lippstadt) a publié une lettre de Bernadette Soubirous au Pape Léon XIII qui serait une prophétie d’actualité pour notre temps.
Cette lettre daterait de 1879. Elle aurait été retrouvée par le Père français Antoine La Grande au Vatican, alors qu’il cherchait des documents sur les miracles de Lourdes. Cette lettre au Souverain Pontife se composerait de 5 messages sur 5 pages séparées, contenant chacun une révélation….
A la veille de l’an 2000, les prophéties flambent, et c’est l’heure de se rappeler la parole (prophétique) du Cardinal Ottaviani, inquiet d’une précédente flambée à l’occasion de la guerre mondiale : « Chrétiens ne soyez pas si prompts à vous enflammer. »
Regardons bien cette communication apparemment fascinante avec le discernement que recommande l’Eglise.
1/ Il s’agirait d’une lettre considérée comme perdue, récemment retrouvée. Nul n’a jamais parlé d’une telle lettre, elle n’avait jamais été considérée comme perdue. Il n’en était pas question. Le seul rapprochement qu’on puisse faire, c’est que Bernadette écrivit le 17 décembre 1876 une lettre à Pie IX (Ecrits, p 448-453). Elle l’écrivit à la demande de Monseigneur Ladoue, évêque de Nevers, qui souhaitait faire plaisir au Pape en lui remettant une lettre de la voyante. C’est une lettre conventionnelle qui ne contient aucune révélation. Ajoutons que les moindres écrits de Bernadette ont été minutieusement conservés aux archives de Nevers où je les ai tous examinés.
Lors de l’avènement de Léon XIII, le 3 mars 1878, Bernadette était très malade, on n’a conservé d’elle que 3 lettres postérieures à cette date. Enfin, Bernadette soucieuse du respect et du protocole, écrivait au Pape selon l’usage : Très Saint Père, et non Sa Sainteté, comme dans la lettre apocryphe.
2/ Aucune précision n’est apporté sur le découvreur, le Père français Antoine La Grande. Il ne s’est point fait connaître par des travaux sur Lourdes, ni autrement.
La lettre présumée n’est pas datée, alors que les lettres de Bernadette le sont généralement. On ne précise pas non plus dans quelles archives du Vatican aurait pu se trouver une telle lettre.
3/ Le langage prêté à Bernadette lui est totalement étranger, comme celui d’autres apocryphes qui lui sont attribués, dont la belle lettre écrite par Marcelle Auclair et qu’on cite souvent.
De façon plus générale, Bernadette est sobre, objective, elle n’a fait aucune prédiction durant sa vie et est étrangère à tout illuminisme. Elle vivait alors dans un très profond dépouillement où elle ne pouvait même plus évoquer le souvenir de l’apparition. Cet état bien-heureux était trop étranger à sa vie de souffrance dans la nuit de la foi. Bref, il est clair qu’il ne s’agit, ici encore, que d’une de ces nombreuses prédictions qu’on multiplie, à une heure où les changements de millénaire stimule les imaginateurs.
Bernadette n’a écrit aucune prophétie. Une prédiction qu’on lui prête durant l’occupation allemande de 1870 fut l’objet d’un démenti formel de la Semaine Religieuse de Nevers.
Gardons le discernement, comme y invite l’Eglise, et ne détournons pas le message si modeste et tellement plus profond de Sainte Bernadette Soubirous, étrangère à toutes flambées d’illuminisme. Sa vie d’âme victime illustre les paroles du Christ : celle du grain semé en terre qui meurt pour donner beaucoup de fruit.